L’homme libre

présentation

Dans L’homme libre, Gus au seuil de ses vingt ans habite encore chez ses parents. « L’avenir est l’idée la plus abstraite que Dieu ait eue, mon fils. Même la peinture abstraite est moins abstraite que l’avenir ». Gus tente d’échapper au déterminisme familial et croit en l’avenir : il écrit ses mémoires et rêve d’une vie commune avec Fatou. Mais contre toute attente, elle le quitte et lui brise le cœur.

 

extrait

Gus

Salut. Je m’appelle Davy Paquet. Davy comme Davy Crockett, Paquet comme Kévin Monnet-Paquet.

Mais tout le monde m’appelle Gus.

Sauf mon père.

Je suis né le 12 juillet 1998. Eh ouais je fais bientôt mes vingt ans. Pas la peine de vous fatiguer, je suis pas supporter ; les Verts, la grande épopée de mes deux, le foot et tout le bizness Adinike, la France bleu blanc beur, c’te com trop dégueu, balec.

Ma vie, personne va la résumer au 500 grammes de fringues que j’ai sur le dos, ni à ma coupe de cheveux, ni au tatouage de carpe koï que j’ai à l’intérieur de la cuisse gauche, ni à ma façon de m’exprimer, personne.

Je suis comme je suis et si je commence à écrire le journal de ma vie comme la tarlouze moyenne, c’est parce que dans quelques jours j’ai décidé que je vais faire une connerie et qu’après il sera trop tard pour faire le point et qu’au fond les tantouzes je sais pas trop ce que c’est vu que j’en ai aucune dans mon entourage, à part Pierrick peut-être, peut-être que Pierrick est gay j’en sais rien, il regarde chelou des fois.

Tu crois quoi, que je suis à plaindre ? Je suis pas à plaindre. Je suis OKLM. Je suis tranquille moi, tranquillou. Dans dix ans, je serai has-been, comme tout le monde. Mais là, c’est beau fixe et grandes largeurs, sérieux.

Je veux rien, alors ça va super. Ta vie, elle foire si tu veux des trucs. Mais si tu veux rien, t’as une petite garantie de réussir quelque chose sans trop te la coincer sous le bras.

Moi, quand mon daron il me dit : la vie tu crois quoi merdeux ? c’est pas la fête, Davy, moi je lui rectifie direct qu’on n’en a rien à secouer si c’est pas la fête vu que personne a dit que ça devait l’être, personne a promis, sur les tables de la loi de la création du monde, y’a pas écrit ça va être la grosse teuf. Et puis d’abord j’en ai des fiestas moi Papa, j’en ai, tous les jours j’y ai droit et c’est pas la seule trouée de lumière dans ma tête de crevard alors me fais pas ta pleureuse Papa, je m’estime verni du derche d’être né où je suis, au pied des bonnes mamelles de Couriot.

Je suis dans ma chambre, je m’allume un splif et je fais le barbot devant le miroir : salut miroir, dis-moi qui est le plus beau des têtes de cons avec son gros blaze gavé de tonbous qu’on dirait du chou-fleur à la fin du marché Carnot et je rigole de me voir si moche et beau à la fois et je pense à Fatou et à son boulard que le soleil a enfanté un jour qu’il était de bonne humeur et je me dis qu’elles sont trop nectar ses fesses et j’ai envie d’elle dans la fumée aigre-douce et toutes mes fiestas les pires, c’est main dans sa main que je les ai vécues, sans parler de sa schnek de rêve que j’ai marouflé en beuglant comme un faon, restons poli.

Mon père, les Togolaises il a rien contre, c’est ce qu’il m’a dit quand j’ai ramené Fatou un soir, il était dans le salon à se cogner la gueule dans le journal qu’est plein du ramassis de nos chienlits, plein des grèves et de notre foutue incapacité à manger le poisson avec les arêtes sans se niquer la trachée, c’est bon ça va, d’façon on est là pour avaler, Papa. Mon daron, il a vu Fatou et larchouma il a dit : j’ai rien contre les Togolaises. J’ai pas compris sur le coup que c’était une blague, mais il me l’a dit plus tard : c’était pour rigoler, Davy, allez rigole, elle a l’air gentille ta copine, c’est le principal, noire, blanche ou verte, il faut qu’elle soit gentille avec toi et que tu sois gentil avec elle. Et je ne savais pas quoi penser de ça, comme toujours avec mon vieux.

Ma mère, Fatou elle l’aime bien, elle la trouve polie et bien gaulée, sauf le nez elle me dit, ma daronne, elle a un vilain nez dommage, après bon bien sûr la cambrure est superbe et ses parents ils font quoi dans la vie ?

C’est parce que je la veux pas vraiment que Fatou reste avec moi. Parce que je la presse pas. Je la laisse tourner dans ma tête comme une chauve-souris autour d’un réverbère en été. Et de temps en temps, on change les rôles, mais pas plus. Alors ça tient. Depuis 8 mois et 14 jours.

Elle a 17 ans. J’aime pas qu’elle soit mineure, j’ai hâte qu’elle passe la vitesse supérieure, parce que les srabs ils me charrient trop, même si je m’en fous, même si mes potes c’est tous des puceaux qui rêvent de banquette arrière.

 

l’arche éditeur – 2017