présentation
En apnée est un poème-livre de l’écrivain-performer Fabrice Melquiot, en collaboration avec la graphiste et plasticienne Jeanne Roualet.
L’apnéiste tombe. Ivre d’air et d’eau, il consent à chuter. Il veut l’obscurité, le silence et le froid ; mourant à la surface du monde, il espère l’inversement des forces, conscient que la beauté pulmonaire s’estime en litres et en symboles. Douze ou treize litres, si le corps sait se creuser, s’ouvrir et s’enclore. Et puis l’amour du mystère, la folie sans saison des abysses, la mesure de soi. Il faut lire En apnée comme un passage au noir, une descente dans nos ruptures, nos dégâts, nos erreurs, nos échecs, pour, du monde, affirmer qu’on attend encore quelque chose : que nous devenions – celles et ceux de notre espèce – des athlètes métaphysiques, désireux de redessiner la surface en approchant le fond, « chargés de l’humanité et des animaux même. »
extrait
Déclinez, satellites, déclinez
Vaisseaux délaissés
Etoiles errant à mille-deux-cents kilomètres par seconde
Mille-deux-cents kilomètres
Planètes de diamant
Sondes spatiales
Ornez mon crâne, mon crâne
De ce Grand Rien qui scintille
Naines rouges
Grand Nuage de Magellan
Hauméa et ses jours de quatre heures
Avens suspendus
Écrasez le fusain sur mon front
Écrasez
Écrasez
Je suis calme
Je suis peu, je suis peu
Et doux par moments
Y compris avec moi-même
J’offre à l’eau
Un corps modeste
Et volontaire
Modeste
Et
Volontaire
Je ne suis ni poète
Ni philosophe
Je viens sans autre don que ma respiration
Et le contrôle de mon esprit
La beauté thoracique qui me fait un socle
Et le désir des abysses
Les abysses
Ah
Les abysses
Mon souffle
Je ne réclame pas d’en faire un discours
Je veux le retenir jusqu’à cent mètres de fond
Cent mètres
Je veux le retenir
Le retenir
Le retenir
Le retenir
Le retenir
Déclinez, hommes, femmes, enfants, déclinez
Votre date de naissance
Nous sommes nés d’un baiser, d’un choc, d’un serment, d’une blessure
Déclinez
Votre taille
Nous mesurons nos chances, elles tournent plus vite que notre pouls
Votre poids
Déclinez, déclinez
Nous pesons les uns sur les autres
Nous pesons les uns sur les autres
Les uns
Sur
Les autres
Je suis né d’une vague qui se prenait pour une porte
Je ne suis plus que champ, surface, plan
Plus rien ne me pèse, ne me pèse
Volume pulmonaire total
Douze, treize litres
Rythme cardiaque en apnée
Trente-trois pulsations par minute
Capacité de rétention statique
Neuf minutes et dix-sept secondes
Mon sternum est le trou noir, noir
Où les souvenirs ondoient
Sous le papier bulle
Plancton sentimental où tu as ton visage
Et nous
Nos années
joca seria – 2024