présentation
Charles est concessionnaire de moissonneuses batteuses. Quand il sort du travail le vendredi, il aime interpréter les chansons de Charles Aznavour à l’Attitude Club Karaoké. À mesure que sa vie familiale s’étiole au soleil de la Nièvre, Charles se demande en chansons si ses proches sont vraiment si proches. Non, il n’a rien oublié des plaisirs démodés, et comme il est triste à Venise… Chez Fabrice Melquiot, les tristesses de la vie ouvrent la voie aux comédies féroces. Monologue créé en 2013 par l’auteur, avec Vincent Garanger dans le rôle de Charles.
extrait
– Dans cinq minutes j’y retourne et j’envoie la sauce avec Les plaisirs démodés. Carton assuré. J’aime faire danser les gens. Ils dansent et on oublie on oublie tout même si on n’oublie rien on essaie. Parce que l’agriculture on ne va pas se voiler la face merde ces gens-là qui se lâchent le vendredi soir faut les voir en semaine se fracasser le corps pour leur élevage ou leurs champs. Moi je n’ai pas à me plaindre je roule en 407 mais François toute la sainte journée sur son tracteur merde. Heureusement qu’il a Jean Ferrat.
– Non c’est sûr l’agriculture va mal c’est sûr. La terre on s’en fout. Il n’y a aucun plaisir dans le sol. La province on s’en fout. La vraie vie c’est à Paris tout le monde croit que c’est à Paris la vraie vie avec ses terrasses de café ses vedettes qui passent gomina paillettes lunettes noires sur le nez si je veux moi aussi je me balade avec des lunettes et puis les Galeries Lafayette le Printemps tous les magasins les salons de thé les boutiques de fringues le métro ah la vache le métro c’est quelque chose le métro.
– Une fois par mois Maryse monte à Paris avec le TGV qui part de Montbard à 8h26. Elle va faire du shopping. Elle va s’asseoir en terrasse. Elle boit des Perrier rondelles. Et puis elle se fait sauter elle va peut-être se faire sauter par la même occasion. Elle a sûrement quelqu’un à Paris. Je la regarde entamer sa deuxième vodka orange. Elle me fait penser au grand sabotage bourgeois.
– Le sabotage bourgeois et capitaliste est devenu presque total.
– Parisiens crottes de chiens provinciaux crottes de veaux. On n’est pas dans la même merde.
– Quand on s’est rencontrés au lycée Maryse et moi en seconde au lycée Romain Rolland de Clamecy Maryse et moi on n’était loin des bourgeois de la grande ville avec leurs appartements leurs cinémas leurs musées leurs facultés leurs sorties. Nos parents bossaient à la ferme point barre c’était des gens de la terre vrais bourguignons. Et puis la mère de Maryse gardait des enfants. D’ailleurs elle m’a gardé sa mère quand j’étais tout petit avec d’autres gamins de Clamecy. Mais on n’est pas sortis ensemble avant le lycée Maryse et moi. Et on s’est mariés seulement après que j’ai eu mon BTS en technique de vente Maryse le sien en secrétariat. On a été raisonnables. On a attendu d’avoir une situation.
– Au début on louait un appartement à Clamecy quand même 63 mètres carrés.
– Maryse est secrétaire technique pour une société de transport. Elle a couché avec Jean-Louis le gérant. L’année dernière. Un lundi soir. A croire que le lundi soir elle a des dispositions particulières. C’était la première fois qu’elle couchait avec un autre. Elle est rentrée le soir et elle a dit :
– Charly –
– Quand elle a dit Charly comme elle l’a dit ce soir-là elle a dit Charly elle n’a rien dit d’autre Charly c’est tout j’ai compris j’ai su tout de suite su qu’elle avait couché ailleurs ailleurs avec un autre je me suis assis dans le canapé on venait de changer de canapé je me souviens de l’odeur synthétique du canapé puis Maryse a redit :
– Charly –
– C’est qui je le connais.
– Jean-Louis.
– Jean-Louis.
– Je –
– Ne dis rien. Ce sont des choses qui arrivent.