présentation
Cette trilogie américaine a été commandée par le metteur en scène Paul Desveaux ; les pièces tournent autour de trois figures mythiques des arts : Jackson Pollock, Janis Joplin et Diane Arbus.
Dans Pollock, le célèbre peintre boit et se console en Cadillac tandis que sa compagne, Lee Krasner lui dit « l’angoisse existentielle ne suffit pas, la sincérité est la clé. »
Dans Pearl, un groupe de rock se retrouve pour enregistrer des morceaux, avec au centre la figure féminine inspirée de Janis Joplin. Il faut imaginer cette jeune fille qui naît à Port Arthur en 1943, dans une famille chrétienne et meurt en 1970 à San Francisco en héroïne du mouvement hippie.
Librement inspirée de la vie et l’œuvre de Diane Arbus, cette mosaïque poétique déploie un itinéraire artistique hors du commun. Diane Arbus, née Nemerov, en 1923, dans une famille juive new-yorkaise, travaille dans la photographie de mode aux côtés de son mari, avant de s’en affranchir pour imposer sa propre vision. Dans la lignée d’un Walker Evans, elle descend dans la rue à la rencontre de ses modèles. Restée célèbre pour ses portraits d’inconnus pris au reflex 6×6 bi-objectif, elle offre d’autres visages et corps de l’Amérique moderne, en marge des conventions et de l’esthétique normative du portrait. Mêlant éléments biographiques et dates clés des relations internationales, la pièce de Fabrice Melquiot donne voix aux relations nouées pendant sa vie, dessinant une chronologie croisée, où l’histoire de Diane tend un miroir à celle du monde.
extrait
Gertrude
Quoi ?
Diane
Rien.
Gertrude
Pourquoi tu t’arrêtes ?
Diane
Est-ce que je peux te photographier ?
Gertrude
Tu as du temps à perdre.
Diane
Assieds-toi, là. Relax. Relaxitude super relax. Ouvre un peu les jambes, que j’aperçoive la vieille maison où j’ai vécu. C’est ça. Lève un peu le menton.
Gertrude
Est-ce qu’on voit beaucoup mes rides ?
Diane
Oui.
Gertrude
Fais quelque chose.
Diane
Dégage tes cheveux.
Gertrude
Est-ce que ça estompe les rides ?
Diane
Je suis photographe, pas magicienne. Parle.
Gertrude
Quoi ?
Diane
Parle.
Gertrude
Que veux-tu entendre ?
Diane
Ce que tu disais tout à l’heure dans mon rêve, quand tu marchais sur moi. Chacun de tes pas était celui d’une biche : serein, altier, décisif.
Gertrude
Je ne vais pas tarder à te convaincre que le gibier, c’est toi, ma petite Diane. Quelle ironie renversante. J’ai dans la main un coutelas long comme la bite d’un cerf.
Diane
Tu me regardes avec honte et envie, comme toujours.
Gertrude
Pardon ?
Diane
Tu me regardes avec honte et envie.
Gertrude
Qu’est-ce que j’envierais de toi, ma petite Diane ? Qu’est-ce que je pourrais jalouser ?
Diane
Prends-moi dans tes bras, Maman, j’étais à bout.
Gertrude
Je ne suis pas là pour ça.
Diane
Embrasse-moi.
Gertrude
Je m’en fous. Je m’appelle Gertrude Russek Nemerov. Mon père, ton grand-père, Frank Russek, a quitté la Pologne en 1880. C’était un gosse. Dans le train qui menait de Saint Louis à Kansas City, il a survécu en vendant des cacahuètes. En compagnie de ses frères, il est devenu bookmaker à New York. A l’époque, quand on n’était personne, on pouvait toujours devenir quelqu’un. C’est fini. Maintenant, quand tu n’es personne, tu n’es personne. Mon père, il s’est lancé dans le commerce de fourrures, pour passer l’hiver, parce qu’il fallait s’occuper quand le froid suspendait les courses de chevaux. Russek Furs, c’est le nom du magasin qu’il a ouvert avec l’un de ses frères à l’angle de la 14ème rue Ouest et de University Place, à Manhattan. Vison du Michigan, chinchilla des Andes, renard, castor, écureuil. Mon père a épousé ma mère en 1900. Je suis née en 1901, mon frère Harold en 1902. Dix ans plus tard, on ouvrait un magasin sur la Cinquième Avenue. Huit mètres sur trois. Tu n’as aucune idée, ma petite Diane, des files d’attente sur le trottoir. On aurait pu accrocher une enseigne au-dessus de la porte d’entrée : This is the American Dream.
Diane
Je crois que ça fait mal de se faire prendre en photo.