présentation
Affabulateur hors pair, esprit fantasque, Münchhausen est un personnage truculent à la verve intarissable, à mi-chemin entre Cyrano et Don Quichotte. Cette adaptation qui inclut le jeune public – mais ne s’y limite pas – explore à travers une relation père-fils le déplacement de frontière entre l’imaginaire et la réalité. Un jeune garçon (« Moi ») se retrouve confronté à père malade (qui se prend pour le baron de Münchhausen dans ses moments de délire) puis à la mort de celui-ci. Mais le jour de son enterrement, le jeune garçon tout ahuri n’aperçoit-il pas le baron en casque et en armes surgir sous ses yeux ?
Un texte fourmillant de trouvailles et d’ingéniosité, où la poésie du fou rêveur qu’est le légendaire baron de Münchhausen rencontre celle de Fabrice Melquiot.
extrait
Moi
Et maintenant ?
Münchhausen
Qui es-tu maintenant que je te vois de tout près ?
Moi
C’est moi, Papa.
Münchhausen
Et moi, qui suis-je à l’intérieur ?
Moi
Tu t’appelles Karl Friedrich Hieronymus, Baron de Münchhausen. Tu as deux-cent-nonante-cinq ans –
Münchhausen
– deux-cent-nonante-six –
Moi
– deux-cent-nonante-six et la médecine ne sait pas quoi faire de toi. Tu vis dans cet hôpital depuis plus de cent ans. Tu ne meurs pas et personne ne se l’explique. Les infirmières succombent à ton charme, les unes après les autres, et ce malgré les rides qui ont creusé ta figure. Je suis ton vingt-septième fils et j’ai trente ans aujourd’hui. J’ai trente ans aujourd’hui et je t’ai apporté des madeleines.
Münchhausen
Ça tombe bien, mon garçon. Couvre mes mollets de ton offrande et partons. La Russie nous tend les bras, tant pis, tans pis pour le Pays de la Mort Certaine, il attendra. Je dois vivre. Il faut vivre, revivre, comme si nous n’avions pas le choix ! C’est plus fort que nous. Nous, c’est le mot le plus beau. Partons. As-tu mis ton col roulé en peau de zizi ?
Moi
Oui, Papa.
Münchhausen
Mon cheval ! Où est mon cheval ? Rossinante ! Rossinante !
Moi
Tu es assis dessus, Papa.
Münchhausen
Où diable avais-le la tête dans le derrière ou bien ? Et mon costume, où est-il ?
Moi
Sur ton dos, Papa.
Münchhausen
Mais oui, mais oui ! C’est bien lui, rouge et doré, comme un Africain. Et ma langue, où est ma langue ?
Moi
Quoi ta langue ?
Münchhausen
Où est ma langue ?
Moi
Quelle langue ?
Münchhausen
La langue économique et sereine que je dois adopter, une langue naïve, plate osons dire plate, sans fantaisie, sans falbalas, sans froufrous, une langue au masque neutre en quelque sorte, pour vivre et revivre mes aventures, sinon le pékin lambda pourrait croire entendre parler un fou – Oh. Tu as entendu ?
Moi
Quoi ?
Münchhausen
J’ai dit : « Croire entendre parler ».
Moi
Eh ben quoi ?
Münchhausen
Trois infinitifs à la suite ! Qui oserait accorder son foie à un individu capable d’aligner trois infinitifs dans sa phrase ? Moins d’emphase, moins de jeux de mots, moins de formules, moins de métaphores, moins de spectacle. Adoptons le ton camouflé du caméléon à proximité de la mouche. Raccourcissons notre langue pour avoir l’air parfaitement normaux et nous irons plus loin. Okay My Son ?
Moi
Okay Daddy.
Münchhausen
Normaux, j’ai dit.
Moi
J’ai juste dit : « Okay ».
Münchhausen
Il y avait trop de spectacle dans ce « Okay », trop de sous-entendus spectaculairement spectaculaires. Recommence.
Moi
Recommence quoi ?
Münchhausen
Redis « Okay » d’une manière beaucoup plus simple, directe, plate osons dire.
Moi
Tu veux que je t’allume la télé ? C’est l’heure du Télé Achat. Tu aimes bien ça, non ?
Münchhausen
J’ai horreur des chats. Redis : « Okay ».
Moi
Non.
Münchhausen
Mon cheval s’impatiente, bougre d’âne. Répète après moi et n’hésite pas à copier : « Okay ».
Moi
J’allume la télé.
Münchhausen
Regarde bien mon front, toi l’effronté qui n’en n’a pas ! Que vois-tu ? Papi Zombie ? Non ! Y’a pas écrit Papi Zombie. Alors laisse la télé où elle est. La Russie nous attend.
Moi
Papa, tu es malade. Tu es. Excuse-moi, Papa, mais je. Je n’arrive pas à chaque fois à. Assieds-toi. Je n’y arrive pas, moi. Je n’y arrive plus, Papa. Assieds-toi je te dis, allez, écoute-moi. Mon petit Papa. C’est moi.
Münchhausen
Je sais que c’est toi. Et je sais que c’est moi. C’est parce que c’est nous qu’il faut partir. C’est la condition pour se prouver l’amour à la couronne diamantaire, l’amour au-dessus des nids de coucous, de merles et de grives, l’amour des grands sommets. Voyage à deux dans les contrées hostiles, supporte les chaussettes toxiques de l’autre et tu sauras qui nous sommes.