présentation
Omar Porras, acteur et metteur en scène de renom, seul avec ses fantômes, ça fait du monde. Ce texte, monologue de Fabrice Melquiot, écrit pour Omar Porras d’après sa biographie, commence par un voyage en Colombie, sur les terrains de vie de l’enfance, quand Omar n’était pas encore l’un des plus grands metteurs en scène de ce pays. Une rencontre avec le petit Omar, celui que contient encore le grand Omar. Un conte d’aujourd’hui, un conte du XXIe siècle. Une histoire pour petits et grands. L’histoire d’un exil, d’une inspiration, d’un espoir ; un fil d’or tendu de l’Amérique latine et sa jungle à l’Europe des lumières de théâtre, un saut à la perche du grand soleil aux projecteurs.
Porras à nu, Porras à cru, Porras régénéré par un Porras de fiction, vraisemblable et peut-être véridique. L’histoire peu commune d’un homme qui croyait aux miracles et à la fragilité, à la voix dans les choses et à l’âme dans les cintres.
extrait
Le cours de géographie.
Un professeur, portant le maillot de football de la Colombie.
Il n’a pas d’autre accessoire que son propre corps, qu’il emploie comme carte de géographie.
Son buste a ses régions.
Ses bras font les fleuves.
Il se tord sur lui-même.
Professeur
Bonjour à tous, asseyez-vous.
Il regarde les spectateurs, qu’il prend pour ses élèves.
Asseyez-vous, j’ai dit.
Asseyez-vous ! Je vais vous apprendre à obéir, moi.
Bien.
La géographie, c’est moi. La Colombie, c’est moi. Colombia. Du nom du célèbre navigateur italien Cristoforo Colombo. Christopher Colombus en anglais. Colombus, mot latin qui veut dire Colombe. En espagnol, Columbino. Ici, le Tropique du Cancer, là le Tropique du Capricorne. Entre les deux, la Colombie. Mythes, légendes, ressources, fruits gros comme mon crâne, fleurs larges comme deux fois mes mains, arbres gigantesques, plantes magiques. Et les oiseaux, vous les voyez, les oiseaux ? Et ses sources d’eau pure ? Au Nord, l’Atlantique ! A l’Ouest, le Pacifique ! Un océan pour chaque oreille. Ici, le Brésil, et là le Vénézuéla –
Petit Oumar
Monsieur ? Je peux aller aux toilettes ?
Professeur
Terre de chamans, terre d’Indiens, terre des Mohanes, des Caciques, des Zipas et des Zaques, qui couvraient leur corps de poudre d’or, de colliers d’émeraudes et de plumes d’oiseaux légendaires : le Quetzal, le Condor, le colibri, toutes sortes de perroquets.
Petit Oumar
Monsieur, s’il-vous-plaît, est-ce que je –
Professeur
Ne m’interrompez pas quand je mets le doigt sur les conquistadores aux dents longues, qui foulent notre terre avec leurs croix et leurs épées, défendons-nous mes chers enfants –
Petit Oumar
Mais Monsieur, j’ai vraiment besoin d’aller aux toilettes.
Professeur
Non, Oumar Tutak Hijode Chibcha Vuelo de Condor Suvan y Ven. Tu ne peux pas.
Petit Oumar
Mais Monsieur –
Professeur
Recueillons-nous. Prions. Prions, mes chers enfants. Pour les langues ancestrales qui disparaissent une à une dans les profondeurs de l’Orénoque, et pour nos frères indiens Kunas, Tikunas, Makunas, Guambianos, Emberras, Koguis –
Petit Oumar
Mais Monsieur, j’ai vraiment trop besoin.
Professeur
J’ai dit non, c’est non.
Petit Oumar
Comment je fais, Monsieur ?
Professeur
Tu fais sur toi.
Petit Oumar
Sur moi ? Comment ça, sur moi ? Sur mon uniforme ? Devant tout le monde ?