présentation
Une femme de soixante ans, Violet, et ses trois filles, Black, Brown et Blue, toutes prisonnières de leur huis-clos familial. Dans une ville de province, près et loin de tout, chacune tente d’échapper à l’ennui et de s’extirper d’un modèle familial teinté de force de vivre et de désir de mourir. Avec humour comme remède à la mélancolie, Fabrice Melquiot tisse la biographie doucement névrosée de quatre femmes garrottées les unes aux autres.
« Les Tournesols, ce pourrait être ça : un écho contemporain aux femmes de Lorca, hantées par le dehors, mais recluses, s’aimant, se haïssant, à se tuer ; ces femmes d’intérieur, qui au cœur du monde semblent faire figuration, mais qui savent lire le présent avec l’acuité des rapaces qui attendent. »
Fabrice Melquiot
extrait
Brown – Ne me donne pas d’ordre, s’il-te-plaît.
Black – C’est toi qui me rends autoritaire.
Brown – Tu es autoritaire.
Black – Moi ?
Brown – Ce n’est pas grave, mais reconnais-le.
Black – Je ne suis pas autoritaire, je suis exigeante.
Brown – Pas assez.
Black – Quoi ?
Brown – Pas assez exigeante et trop autoritaire.
Black – Intéressant. A quel propos ?
Brown – Arrête d’esquiver, Black.
Black – Esquiver quoi ?
Brown – Dépressives ? Parce que tu le dis, nous le sommes. On pue la glu plus que les larmes. On pue la mélasse. On pue le mazout. On est les plus jolies filles du monde, Maman, Blue, toi et moi, mais tout ankylosées, comme si nos flancs étaient lourds et nos gestes ralentis.
Black – Nous le sommes.
Brown – Mais optimistes dans les pires situations.
Black – Toi.
Brown – Tu écris des chansons.
Black – Et alors ?
Brown – Tu es la plus gaie de nous toutes.
Black – Moi ?
Brown – A ta façon.
Black – Je prends sur moi.
Brown – Il n’y a pas de honte.
Black – Parce que j’écris des chansons, je serais forcément heureuse ?
Brown – Tu chantes comme un pinson.
Black – Dans une langue qui n’existe pas.
Brown – Et alors ?
Black – Je tue le temps.
Brown – La vérité, c’est qu’on est molles, complaisantes, ravagées par plaisir, velléitaires en fait, contemplatives et douloureuses : rien que des adjectifs de confort. On tue le temps, si tu veux. Je l’admets. Toi dans tes chansons, moi dans les libellules ou à poil dans les garçons. Quand Maman est triste, elle prend deux pilules roses. Quand Blue veut mourir, elle s’égratigne le poignet avec son cutter.
Black – Tu préfèrerais qu’elle y reste ?
Brown – On ne va au bout de rien. On n’en sortira pas. On s’est habituées. A se débattre sans élan, on va vieillir les ailes épinglées sur une planche de bois et on mettra ça sur le dos de nos pères, ou de la vie, ou de l’époque, ou des autres, va savoir quelle bonne excuse.