Days of nothing

présentation

Rémi Brossard se rend au Collège Jean Moulin une semaine par mois pendant six mois. Il y écrit un roman qui promet d’être formidable et apprend entre autres choses à dormir assis, tout ça pour mille cinq cents euros par mois, soit neuf mille euros en tout. Maximilien, quinze ans, se rend tous les jours ou presque dans ce même collège depuis bientôt quatre ans. Là où se rencontrent Rémi Brossard et Maximilien, se joue quelque chose qui nous tient en haleine : Days of nothing raconte le carambolage de deux générations, de deux réalités.
Dans ce collège, lieu de formation, d’apprentissage, les personnages de Fabrice Melquiot – comme ceux que Rémi Brossard tente de mettre au monde, sont en devenir. Mais quel est leur avenir dans un lieu de latence, d’attente, de perte ? Days of nothing nous parle de ce qu’il se passe aujourd’hui en France.

 

extrait

Rémi Brossard.

L’après-midi, j’avais rendez-vous au CDI avec deux classes de quatrième pour une discussion autour du métier d’écrivain. Des gamins à chewing- gums, baladeur MP3 vissés aux oreilles, l’air indifférent. Au milieu de tout ça, quelques visages ouverts, deux ou trois sourires furtifs, dont j’ai aimé croire qu’ils étaient bienveillants. Questionnaire préparé, doigts levés. Pour les encadrer, une documentaliste au bord du gouffre et un professeur de français en attente de mutation dans le Sud.

Voix.

Depuis quand écrivez-vous ?

Rémi Brossard.

« J’écris depuis toujours. Tous les jours, un peu. Pour vérifier que je ne suis pas mort. » Absence totale de réactions à cette première réponse totalement fabriquée, la situation me fait chier.

Voix.

Pourquoi écrivez-vous ?

Rémi Brossard.

Je viens de le dire : pour vérifier que je ne suis pas mort.

Voix.

Kéceça veut dire ?

Rémi Brossard.

« En écrivant, je me retire pour dire au monde que je suis là. Je suis à l’écart du monde, et pourtant au centre des choses. Je suis hors de la vie, et pourtant plus vivant que si j’étais en elle. » Absence totale de réactions, premiers bâillements, digestion assassine du poulet pas assez cuit de la cantine, rots cachés dans les écharpes. Je sens que ça va être long.

Voix.

Depuis quand écrivez-vous ?

Rémi Brossard.

Merci, Malick, question déjà posée.

Voix.

Avez-vous un autre métier ?

Rémi Brossard.

« Non, je n’ai pas d’autre métier que celui d’écrire. Je gagne ma vie en écrivant des romans. Je ne suis pas riche, mais je gagne ma vie. »

Voix.

Comment devient-on écrivain ?

Rémi Brossard.

« En écrivant, en jetant ce qu’on a écrit, en récrivant, en lisant les livres des autres, en les relisant. En regardant au fond de la littérature. En écoutant tout ce qui peut s’entendre dans les mots. Ce qui peut s’écouter peut s’entendre et ce qu’on entend peut s’écrire, à condition qu’on écrive contre ce qu’on entend. Il y a toujours un refus. Ecrire est un refus. »

Voix.

J’ai pas compris.

Rémi Brossard.

« Je répète pour Mademoiselle – comment tu t’appelles ? »

Voix.

Allison.

Rémi Brossard.

Je répète pour Allison. Allison me fixe de ses grands yeux bleus, pleins d’un bleu que, même face au plus vaste océan, je n’ai jamais connu aussi vide. Allison provoque chez moi une mélancolie immédiate. Allison a l’air complètement abrutie.

Voix.

J’ai toujours pas capté, c’est pas grave, je m’en fous.

Rémi Brossard.

Merci, Allison. Soigne ton abysse. Je voudrais dire à cette petite : Allison, tu es un abysse de connerie, ça se voit, ça se lit immédiatement dans tes yeux de génisse de treize ou quatorze ans. Soigne-toi. Ou bien disparais. Le poulet de la cantine tente de remonter le long de mon œsophage pour qu’on le gave à nouveau de grains infâmes, qu’on le cuise à nouveau, qu’on le bouffe à nouveau, phénix indigne. Question suivante ?

Voix.

Quel est le titre de votre premier livre ?

Rémi Brossard.

La diagonale du milieu.

Voix.

C’est quoi l’histoire ?

 

l’arche éditeur – 2012